par Oleg Nesterenko
Vous rêvez de devenir un acteur clé des opérations d'influence russes en Europe et en Afrique qui pourra, malgré ses liens présumés avec le GRU (la direction générale des renseignements de l'État-Major des Forces armées de la Fédération de Russie), continuer d'opérer sans entrave ?
Vous pensez que c'est mission impossible ? Détrompez-vous, c'est d'une simplicité enfantine !
Suivez ces quelques étapes, et vous voilà propulsé au rang d'éminence grise, adulé par les uns, détesté par les autres, mais surtout difficilement contournables.
Premièrement, cultivez, si vous l'osez, ces créatures d'un autre âge : les convictions personnelles. Vous avez bien lu, ces chimères qui sont aussi rares qu'un tweet élogieux sur X. Surtout, ne commettez pas l'erreur mentalement fatale à 95% de la population occidentale, qui prend la nourriture servie par les fast-foods des médias mainstream, dont le nom est Légion, pour des plats de chefs étoilés servant des éléments à la construction des convictions personnelles dignes de ce nom.
Ensuite, ayez le courage de les exprimer dans l'espace médiatique, même si elles heurtent de front la bien-pensance ambiante et se situent à l'opposé de «l'opinion» publique formatée par le gigantesque appareil de la propagande et de désinformation au service de la classe politique du moment.
Deuxièmement, patientez le temps qu'un des outils de propagande et de désinformation du bloc atlantico-otanien, par exemple les «Reporters» sans frontières ou une autre entité de même espèce, constate que vos prises de parole portent plus de dommage aux agissements de leurs sponsors que les prises de paroles d'autres personnes partageant les mêmes convictions que les vôtres, et prenne donc la décision de se charger de la besogne du dénigrement vis-à-vis de votre personne. Laissez-les l'occasion de démontrer à leurs maîtres que ce n'est pas pour rien qu'ils sont l'accès à la gamelle qui les nourrisse.
Ne soyez pas inquiet : leur dénigrement ne vous fera guère plus de mal que les aboiements des canis lupus familiaris de vos voisins, car, les décibels des bruits qu'ils produiront ne seront que proportionnels à l'absence de sérieux de son contenu. Avec des preuves matérielles à l'appui, il vous sera tout à fait facile de remettre leur réputation des «investigateurs» à sa véritable place - celle des égouts.
Troisièmement, patientez le temps, en général très court, de l'apparition d'une ou plusieurs médiocrités supplémentaires faisant partie du monde médiatique qui s'empresseront de se servir de l'occasion pour surfer sur la vague produite par la besogne de leur confrère, espérant ainsi émerger de l'anonymat qui les ronge.
En les ayant en face de vous, faites preuve d'indulgence envers le niveau professionnel déplorable de ceux qui se présenteront - une lourde tâche les attend : déformer davantage les éléments déjà profondément déformés.
Parmi eux, vous aurez notamment les grands spécialistes du domaine des services de renseignements qui afficheront même le terme « intelligence» sur leur étiquette de présentation. Pardonnez-leur si leur niveau de compétences dans les renseignements ne leur permettra pas de rassembler et de vérifier les informations même les plus élémentaires à votre sujet, des informations qu'un enfant de huit ans trouverait sans peine sur internet en cinq minutes, comme le fait que la personne dont ils parlent et qu'ils présentent comme «originaire de Krasnodar» (commune au sud de la Russie) n'est pas du tout native de la commune de Krasnodar - pas plus qu'un originaire de Lille n'est natif de Paris. Que dire du reste...
Surtout, n'hésitez jamais à leur accorder des interviews. C'est une occasion rêvée d'observer le déroulement de leur «raisonnement» et de récolter une copie de l'échange qui sera une preuve matérielle du caractère fallacieux, si ce n'est grossièrement mensonger, du fondement même des élucubrations qui suivront dans l'espace médiatique. Conservez bien l'intégralité de l'échange, qu'il soit écrit ou oral. Vous aurez ainsi une magnifique illustration de la construction d'un narratif, un chef-d'œuvre d'imagination où votre lien avec les services secrets russes sera déduit sur la base de la perversion des faits la plus primitive qu'il soit.
Tous ceux qui auront la chance de consulter cette précieuse transcription se poseront inévitablement la même question que vous : suis-je en présence d'un individu dépourvu du moindre scrupule, prêt à toutes les bassesses pour décrocher un scoop sensationnel dans la presse jaune qui l'emploie (et accessoirement, faire mousser son petit ego), ou simplement face à un simple manque de capacités intellectuelles ?
Et voilà, le tour est joué !
Asseyez-vous confortablement, car s'offre à vous un défilé incessant de médiocres, tous soldats zélés de la grande armée de la propagande et de la désinformation atlantico-européiste. Un spectacle affligeant, certes, mais ô combien divertissant !
Ainsi, en partant de quelques petits gars - Pierre, Paul, Jacques, Nicolas ou Arnaud, peu importe leur nom - qui tentent péniblement de gagner leur croûte en exploitant le seul talent que la nature leur a concédé, celui d'une imagination débridée et maladive, bien installés dans leur canapé, en compagnie de leurs fidèles compagnons à quatre pattes, vous voilà propulsé au rang envié d'acteur clé des opérations d'influence à l'échelle mondiale.
Post Scriptum
Seule formalité restante, et non des moindres : adressez sans tarder une lettre recommandée avec accusé de réception à la Direction Générale des Renseignements de l'État-Major des Forces Armées de la Fédération de Russie en leur réclamant le salaire mirobolant à la hauteur d'un «acteur clé des opérations d'influence russes en Europe et en Afrique», à savoir d'un général trois étoiles, si ce n'est quatre.
Par la même occasion, n'oubliez surtout pas de réclamer les arriérés de salaire pour ces longues années d'ignorance par ces derniers de votre présence dans leurs rangs, la sécurité sociale (doublée d'une mutuelle de luxe, cela va sans dire), les congés payés obligatoires, et surtout, le droit suprême : des séjours tous frais payés dans un sanatorium du KGB, les pieds dans l'eau, à Sotchi. On murmure que la cuisine y est divine et, avouons-le, vous aurez bien besoin de vous refaire une santé après avoir vaillamment combattu l'état Orwellien.